Nouvelles technologies, organisation du travail, culte de la performance, gestion complexe de la vie privée : nul n’ignore les causes du stress de la vie moderne. Pour trouver l’équilibre, il reste donc les prédispositions personnelles (un patrimoine génétique de Bouddha)… et la méditation (qui pourrait vous aider à lui ressembler, à Bouddha). La pleine conscience s’adresse à tout le monde et non plus seulement à quelques illuminés en sandales de retour d’un voyage en Inde… même si j’aime beaucoup l’Inde et les sandales !, plaisante Caroline Jacob, ostéopathe, formatrice en pleine conscience et membre du réseau Émergences parrainé par Matthieu Ricard.
Des preuves scientifiques
Quand j’ai commencé à faire du yoga à l’adolescence, ce genre de pratique était encore très taboue, explique celle qui s’y est intéressée très tôt pour gérer son tempérament hyperactif. Ce qui a changé en vingt ans ? La multiplication des études scientifiques validant ces pratiques. Dans les années 70, le médecin américain Jon Kabat-Zinn, précurseur de la version laïque de la pleine conscience, utilisait déjà cette méthode pour traiter le stress ou la dépression de ses patients.
Il est démontré aujourd’hui que la discipline, pratiquée à un certain degré d’assiduité, permet d’augmenter la production d’anticorps. Elle aurait aussi un impact sur la télomérase – une enzyme qui protège les télomères, ces « capuchons » des chromosomes – et préviendrait donc le vieillissement cellulaire. Les bienfaits de la pleine conscience sur la prévention des rechutes dépressives mais aussi sur les addictions, les troubles anxieux ou certaines maladies chroniques comme le psoriasis sont eux aussi de plus en plus documentés.
D’un point de vue cognitif, des études ont montré que le méditant parvenait à maintenir bien plus longtemps son attention sur des tâches simples que le volontaire lambda, qui se fourvoie « bêtement » à mesure que le temps passe et que sa concentration décroît. Biensûr, ces effets ne sont souvent obtenus qu’à raison d’une pratique régulière ou intense. L’ancienneté du méditant est d’ailleurs déterminante : plus vous avez d’heures de méditation à votre actif, plus votre cerveau fonctionnera différemment. Mais les premiers résultats peuvent néanmoins apparaître rapidement : l’imagerie cérébrale montre ainsi que la taille de l’amygdale, l’aire du cerveau qui traite la peur et la colère, se réduit physiquement après seulement quatre semaines de méditation, à raison de 30 minutes par jour.
Vivre en conscience
Définie comme une forme de méditation ouverte et non focalisée, la pleine conscience suppose une qualité de présence et d’attention à l’instant. Loin de chercher à faire « le vide », elle entend observer le flux de la pensée sans se laisser entraîner par lui. La pleine conscience permet de se tenir à l’écart des ruminations négatives, raconte Caroline Jacob. À côté de la pratique formelle – en général 30 minutes par jour –, les aspects « informels » de la pleine conscience interviennent tout au long de la journée. On apprend à ne rien faire ou en tout cas à ne faire qu’une seule chose à la fois.
Mais aussi à accepter les situations qu’on ne peut pas changer, plutôt que de se battre contre des moulins à vent. Je devais prendre l’avion juste après les attentats de Bruxelles. Pour revenir de Corse, j’ai finalement dû prendre quatre vols différents. Avant, cela m’aurait rendue folle. Je serais allée poser des questions partout, j’aurais rué dans les brancards. Là, ça ne m’a posé aucun problème, explique par exemple Marianne, 50 ans, qui pratique la pleine conscience depuis deux ans. Bien sûr, le changement ne s’opère jamais par magie : comme toute solution véritable, elle exige investissement personnel et discipline.
Beaucoup de gens viennent me voir en disant : Mes enfants ont 18 ans, je ne les ai pas vus grandir, je cours partout, tout le temps, mais pourquoi ? Au-delà de la question de la santé et de la qualité de vie, il y a une quête de sens. L’idée est de devenir plus conscient de sa propre vie et non de la traverser comme un zombie ou une poule sans tête, explique encore Caroline Jacob. Une tête consciente sur des épaules détendues, c’est déjà le début de l’équilibre…
Eugène, 41 ans, acteur
Je suis acteur et je me rends compte que, avant de monter sur scène, je pratiquais déjà une forme de méditation informelle. C’est nécessaire pour être dans ce qu’on fait, ici et maintenant, et ne pas produire un jeu mécanique. La pleine conscience est un complément à cela. Elle m’aide à gérer les périodes de stress, qui sont fréquentes dans mon travail, mais aussi à apaiser les tensions à la maison. Avec Delphine, nous avons trois enfants à nous deux, dont mes deux fils de 6 et 7 ans en garde alternée. Autant dire que cela demande beaucoup d’énergie. Pratiquer en couple nous a permis de prendre du recul, de prendre conscience aussi bien des événements positifs que de ce qui nous énerve ou de ce qui nous angoisse.
Delphine, 37 ans, en formation
Je vois très vite la différence entre les périodes où je ne pratique pas et celles où je pratique quotidiennement : je suis moins irritable, plus calme, je me sens plus actrice de la situation, j’ai davantage prise sur la réalité. J’ai proposé à Eugène, qui n’avait jamais fait de méditation, de faire une formation de pleine conscience avec moi. Cela nous a apporté beaucoup de faire ces exercices à deux. Aujourd’hui, c’est ma fille de 8 ans qui me demande de lui apprendre à méditer… Je pense que c’est vraiment intéressant pour tout le monde, même si je reste attachée à la dimension spirituelle de la méditation, qui est parfois mise de côté dans l’enseignement qu’on en fait aujourd’hui.
Catherine, 46 ans, médecin urgentiste
La pleine conscience s’inscrit dans une démarche personnelle. Je ne m’y suis pas engagée pour venir à bout d’un problème. Je suis quelqu’un d’une nature heureuse, mais je pense qu’il est bon de travailler cet aspect. Aujourd’hui, je pratique généralement entre trente minutes et une heure par jour, même si, avec les gardes, je dois faire des exceptions. Mais la pleine conscience intervient tout au long de la journée. Aujourd’hui, si je m’occupe de mes enfants (13 et 8 ans), je m’occupe de mes enfants. Si je fais la vaisselle, je fais la vaisselle. Si j’intube un patient, j’intube un patient. Et puis, je fais aussi des pauses respiratoires de trois minutes, ce qui me permet de récupérer très rapidement.
Dans mon métier, on travaille souvent dans le chaos. Avec la méditation, le chaos dure moins longtemps. Il y a toujours une petite voix intérieure qui me dit : Ça va aller. J’adore ce que je fais, j’adore prendre des décisions rapidement, agir vite. Mais c’est comme un sportif de niveau qui a besoin d’alterner le marathon et le sprint : j’ai besoin de me recentrer. Je suis médecin et je suis persuadée que la médecine est très importante. Mais je suis aussi persuadée que dans le monde tel qu’il va, avec cette quête de rendement et ce stress auquel nous sommes confrontés, elle ne suffira pas. Nous avons besoin aujourd’hui d’une approche plus globale. Tant de problèmes peuvent déjà être réglés par une alimentation adaptée ou des pratiques comme la pleine conscience.
Carole, 28 ans, conseillère clientèle dans une agence bancaire
J’avais beaucoup de douleurs liées au stress (maux de dos, de ventre). C’est comme ça que j’en suis venue à la pleine conscience. Pratiquer me permet de ne pas être en apnée au quotidien et apaise aussi des questionnements plus personnels. Bien sûr, tout le monde ne ressent pas ce besoin. Je fais partie des personnes qui doivent puiser dans des ressources extérieures pour trouver leur équilibre. Et j’ai vu autour de moi des personnes qui n’étaient pas du tout intéressées par ce genre d’approche, mais pour qui la méditation s’est finalement révélée très utile pour traverser un deuil ou une séparation. De l’extérieur, la démarche paraît souvent assez égocentrée mais ce que je trouve le plus intéressant dans la méditation, c’est précisément l’aspect collectif, le partage : être présents ensemble dans cette même optique. Pratiquer en groupe apporte vraiment quelque chose de supplémentaire.